Texte de Laura Lurquin
Quand on évoque l’alpinisme, le nom de Reinhold Messner résonne comme celui d’un pionnier. Né dans les Dolomites, il fut le premier à gravir les 14 sommets de plus de 8 000 mètres sans oxygène, repoussant les limites de l’exploration. Aujourd’hui âgé de 77 ans, Messner continue de marcher au milieu de paysages spectaculaires, mais son regard sur la montagne a changé. Pour lui, l’aventure n’est plus seulement un exploit physique : elle est une question de responsabilité, de respect et de compréhension du monde naturel.
Assis dans son bureau à Sexten, entouré des montagnes qui l’ont vu grandir, Messner parle calmement, mais chaque mot porte le poids de décennies d’expérience et de contemplation.

Comment voyez-vous l’évolution des montagnes aujourd’hui ?
« Les montagnes existent depuis des millions d’années. Elles changent, oui, et le réchauffement climatique les rend plus dangereuses – pas forcément plus difficiles, mais plus dangereuses. Le pergélisol disparaît, les glaciers fondent, et la roche devient instable. Mais les vrais problèmes ne viennent pas des montagnes. Ce sont les villes et l’industrie. Les alpinistes ne détruisent pas le monde. »
Il note aussi que l’alpinisme a radicalement changé. « Aujourd’hui, l’escalade se fait surtout en salle. Environ 90 % des grimpeurs vont à l’intérieur. C’est un sport parfait, sain et sûr, mais cela n’a rien à voir avec la nature. L’alpinisme n’existe que dans un environnement naturel et sain. Même Everest est préparé pour des milliers de personnes. Les grimpeurs font un excellent travail, mais ce n’est plus de l’alpinisme traditionnel. ». Pour Messner, l’alpinisme reste un art de survie et de respect. « Les murs artificiels ou les sommets préparés enlèvent cette réalité. La nature ne peut jamais être totalement sûre”
Messner parle aussi de l’obsession du record : « Les records n’ont de sens que si beaucoup de gens courent après le même but. Moi, je grimpe pour l’aventure, pas pour la compétition. La première ascension de la Hohe Wand vaut plus que tous les 8 000 mètres réunis. » Sur les sommets comme Everest, ses pensées sont simples : « La survie est l’objectif. Redescendre vivant, c’est le véritable exploit. Comprendre nos limites et notre petitesse face à l’immensité du temps et de l’espace donne une vraie perspective sur la vie. »
Vous vous considérez chanceux d’avoir grandi à la bonne époque pour l’alpinisme ?
« Oui, je suis chanceux, mais je suis une exception. La plupart des gens acceptent que l’activité ait changé, et je suis d’accord. Mais il est important d’expliquer les vrais problèmes et la différence entre l’alpinisme traditionnel et le tourisme sportif. Dans l’alpinisme traditionnel, on peut mourir. La moitié des grands alpinistes mondiaux sont morts. C’est bien que l’alpinisme soit devenu plus sûr, sinon les communautés ne pourraient pas le soutenir. »



Est-ce un miracle que vous soyez encore en vie ?
« Pas un miracle, mais j’ai eu de la chance plusieurs fois. Une seule erreur peut être fatale. »
Messner se souvient de son apprentissage : « Tout a commencé simplement, enfant, dans les Dolomites. J’ai passé vingt ans à grimper dans ces montagnes : murs de 1 200 mètres, chutes de pierres, neige – même en été, glace et roches instables. De là, je suis passé à des sommets plus hauts en Afrique, en Amérique du Sud et au Pakistan. »
Mais son engagement va au-delà de la montagne. « Récemment, je suis retourné au Pakistan, pas pour grimper, mais pour le social. J’ai construit quatre écoles pour que les enfants des vallées isolées aient accès à l’éducation. »
Quel rôle les alpinistes ont-ils face à la nature ?
« La responsabilité des alpinistes est de protéger la nature. Les problèmes viennent des villes, pas des grimpeurs. Même traverser l’Antarctique à pied est extrêmement propre. »
Aujourd’hui, Messner a quitté l’alpinisme de haute altitude, mais reste actif dans la transmission et la protection des montagnes. « Ma femme Diane et moi avons installé la Reinhold Messner House à Sexten”. La Reinhold Messner Haus est un exemple impressionnant de la manière dont le futur peut croître à partir de ce qui existe déjà. L’ancienne station de montagne sur Monte Elmo n’a pas été démolie, mais upcyclée – transformée en centre visionnaire dédié à la durabilité, à la sensibilisation environnementale, à l’art et à la culture. C’est un lieu où se rencontrent les personnes, les idées et les horizons. La Reinhold Messner Haus n’est pas qu’une exposition. C’est une invitation – à s’arrêter, à toucher, à réfléchir et à dialoguer. Une maison qui raconte non seulement la vie de Messner, mais qui pousse chacun à réfléchir sur sa propre responsabilité et sur le changement.
