Val Thorens, c’est l’histoire d’un domaine skiable dont personne ne voulait. Personne ne voulait en financer la construction, y travailler, ni y vivre. ‘Val Tho’ était trop loin de tout, trop haut, trop froid, trop venteux. Bref, trop risqué. La station devait s’implanter sur un terrain inhospitalier, sans la moindre végétation, où le vert est davantage un souvenir qu’une couleur. Cinquante ans plus tard, le tableau a radicalement changé, au point que Val Thorens a été élue à plusieurs reprises ‘Meilleure Station du Monde’. Par quel miracle la citrouille est-elle devenue carrosse ? Nous avons posé la question à plusieurs témoins privilégiés.
Pionniers
Dans les années ’60, la France est à la recherche de ‘champions’, c’est-à-dire des stations capables de tenir leur rang parmi les meilleurs sites de sports d’hiver du monde. Quelques pionniers décèlent ce potentiel à Val Thorens. Le premier projet est dû à un visionnaire, Pierre Schnebelen, qui a l’idée d’implanter ici des immeubles et des remontées mécaniques. Pierre Schnebelen est le premier à percevoir l’attrait de ce cirque montagneux comme de convergence entre de multiples secteurs. Une convention est signée entre les différents responsables, Pierre Schnebelen et Joseph Fontanet, l’homme politique et bourgmestre de la commune de Saint-Martin-De-Belleville. Avec la haute montagne à portée de ski, les possibilités de pistes et de hors-piste sont infinies. « Val Thorens est un immense buffet de ski. Il y en a pour tous les goûts », se plaît à répéter Antoine Diet. Pierre Josserand, un jeune ingénieur, est chargé de concrétiser ce rêve.
Installé tout seul dans un bureau préfabriqué à 2.300 mètres d’altitude, au bout d’un chemin qui ne mène nulle part, il travaille d’arrache-pied, seulement dérangé par les marmottes qui viennent régulièrement lui rendre visite. Un immeuble, un hôtel, un restaurant, un télésiège… Les premières infrastructures sortent de terre comme autant de champignons des neiges. La résistance au projet n’a pas faibli, pourtant. Citons celle d’un parlementaire et ministre savoyard, qui affirme à la radio que la meilleure idée serait de demander à l’Armée de l’Air française de raser illico cette station naissante. Ou ces études scientifiques qui affirment que le manque d’oxygène permanent est dangereux pour les habitants et que les risques d’épidémie sont accrus par l’altitude. C’est dans ce climat hostile que les pionniers de Val Thorens poursuivent opiniâtrement leur travail.
Neige en abondance
Tant dans les souvenirs que sur les photos, la neige est omniprésente. Lorsqu’on observe les clichés de l’époque, on dirait que les gens vivent avec une pelle à la main. Ils déblaient la neige des escaliers, du chemin qui mène au chalet, devant leur vitrine, pour dégager la voiture… « Nous passions les hivers en compagnie de nos professeurs de ski et de nos amis », se souvient Antoine Diet, un des premiers freeriders professionnels, qui tient aujourd’hui un commerce. « Nous n’avions rien d’autre à faire que de skier, encore et encore. On sautait depuis les balcons, on descendait les escaliers d’incendie, on se jetait littéralement dans la poudreuse. On allait à l’école en luge et on sautait depuis le toit de l’école quand la classe était finie. Pendant 6 mois, on vivait dans un paysage totalement blanc. Moi, je suis né dans la neige. La première fois que j’ai vu de l’herbe, j’ai demandé à mon père de descendre de la voiture, pour toucher ces étranges tiges vertes ! »
Les neuf petits kilomètres qui séparent Val Thorens des Menuires sont une succession d’épingles à cheveux exposées aux avalanches. En neuf bornes, on change de monde. Laurie Châtelet, Directrice des Opérations à la SETAM: « En quelques hectomètres, on passe de la montagne civilisée à un paysage lunaire. Un désert blanc. Mais surtout un site idéal pour développer un domaine skiable. » A 2.300 mètres d’altitude, tout est amplifié : l’énergie des humains et la puissance des éléments naturels. « Durant les tempêtes, impossible de faire quoi que ce soit avec les enfants. Ils devaient se contenter de jouer dans le hall de la maison », raconte Luc Dupont, moniteur de ski. « J’adore ces atmosphères extrêmes. Un peu comme un voilier qui double le Cap Horn. Cette neige, si froide et si bonne pour le ski, tombe en abondance. » « Outre la quantité de neige qui tombe ici, sa qualité est tout aussi magique », ajoute Benjamin Blanc, Directeur de la Régie des Pistes de la Vallée des Belleville, « Cette qualité, nous la devons à l’altitude et à notre orientation nord », précise Gilles Jay, dont les équipes entretiennent tous les jours entre 80 et 90% du domaine skiable. Jusqu’à la mi-mai.
Tempérament et inventivité
« Quand je suis arrivé à Val Thorens, on nous prenait pour des fous », poursuit Luc Dupont. « Le lieu de villégiature des habitants de la vallée, c’était Les Menuires. Val Tho, c’était pour les dingos ! » Au début, les Bellevillois manifestent une réticence certaine à s’impliquer dans l’aventure de Val Thorens. De leur côté, les pionniers ne baissent pas les bras. Lentement mais sûrement, Val Thorens se fait une place au soleil. Il faut dire que le site est propice et les précurseurs pleins de tempérament et d’inventivité. Les obstacles sont surmontés les uns après les autres et les réticences se dissipent. Les dix premières années sont difficiles, mais Val Thorens, comme un papillon, finit par sortir de son cocon. « Si mes parents se sont installés ici, c’est parce qu’ils recherchaient l’aventure. C’était des citadins. Ils n’avaient rien à perdre et tout à gagner », sourit Cédric Gorini, le propriétaire du Pashmina, un hôtel aux multiples étoiles. « Tout gosse, je me souviens que nous n’allions pas en vacances. On n’avait pas assez d’essence pour la voiture ! »
Tien jaar laPendant une décennie, aucun groupe financier n’accepte d’investir ici. Tandis que les parents, aventuriers de la première heure, deviennent commerçants et entrepreneurs, la génération suivante grandit dans cet environnement de pionniers. « Nous étions laissés à notre sort. Toute la fratrie a grandi ensemble : Yannick, Maud, Aurélie, Julie, Virginie… Quand on sortait de l’école, on se précipitait sur le tire-fesses des Marmottons, on appuyait sur le bouton vert et on prenait notre pied pendant une heure. Pendant ce temps, nos parents travaillaient dur, surmontaient les obstacles les uns après les autres, et se demandaient si cette aventure se terminerait bien… »
Cime Caron
La station d’arrivée du téléphérique de la Cime Caron se voit de loin. Il s’agit d’une sculpture métallique qui soutient la tension des câbles grâce auxquels les passionnés de sports d’hiver sont emmenés à 3.200 mètres d’altitude, dans un panorama à couper le souffle. Ce téléphérique, inauguré en 1982, est le symbole de Val Thorens, qui l’a placé sur la carte mondiale du ski. « La Cime Caron ne figurait pas dans le projet initial, car il n’était pas évident de tracer des pistes depuis ce site », se souvient Pierre Josserand. Il se rappelle aussi les débuts héroïques, lorsqu’il skiait avec Bernard Pomagalski (le fondateur de Poma, l’illustre fabricant de remonte-pentes). « Dans le bas de cette vallée, nous étions en train de pousser sur les bâtons quand Bernard s’est exclamé : ‘Ici, c’est l’endroit idéal pour un téléphérique’. A l’époque, il cherchait quelque chose de marquant pour Val Thorens. Mais les budgets manquaient. Finalement, un consortium de fabricants français et étrangers a accepté d’entreprendre la construction. La Cime Caron a radicalement changé le visage de la station. »
Live United
Retour vers le présent. Val Thorens est le domaine skiable le plus haut d’Europe. De la fin novembre au début mai, il offre aux skieurs une immersion totale, dispose des remonte-pentes les plus modernes, arbore sept trophées de ‘Meilleure Station de Ski du Monde’ et accueille près de deux millions de passionnés. Mais ce qui est fascinant ici, ce ne sont pas les détails de la réalisation de ce projet. Non, pour appréhender Val Thorens, il faut comprendre l’état d’esprit des pionniers. Un état d’esprit encore synthétisé aujourd’hui dans le slogan du domaine : ‘Live United’. « United est le patrimoine qui nous a été légué par les pionniers, et surtout par leurs enfants », affirme Cédric Gorini. « Nous étions tous des ‘étrangers’, venus d’ailleurs, sans histoire commune. Mais nous avons uni nos forces pour réaliser un rêve commun. De cette union est née une solidarité exceptionnelle, que nous avons léguée à la génération suivante. »
Le mot de la fin revient à Antoine Moga, jeune professeur de ski et pur produit de Val Tho : « J’ai habité ailleurs, mais je suis revenu à Val Thorens, parce que je ne peux pas me passer de l’atmosphère qui règne ici. Val Tho, c’est à la fois un village et une famille, mais aussi le monde entier. C’est une bulle d’oxygène qui donne une formidable sensation de liberté. »