100% Snow

Est-ce exagéré de dire que Verbier est la Mecque suisse du freeride ? Verbier est à la Suisse ce que Chamonix est à la France : un spot mythique où le freeride occupe une place prépondérante. Et la grand-messe (la finale du Freeride World Tour) qui s’y tient annuellement ne fait que renforcer ce statut. La célèbre Haute Route, que les skieurs de randonnée et les splitboardeurs empruntent de Chamonix à Zermatt, passe par là et des noms tels que le Bec des Rosses et le mont Fort imposent le respect.

Verbier est mondain, cher et sportif à la fois. Après qu’il ait neigé, la plupart des flancs sont déjà remplis de traces dès midi. Les lignes que vous voyez s’étendre sur les montagnes, dans les couloirs et sur les falaises indiquent la présence de rideurs du plus haut niveau.

Ancien village d’agriculteurs

Situé dans le plus grand domaine skiable suisse, Les 4 Vallées, Verbier est une station on ne peut plus parfaite pour tout ce qui a trait aux sports d’hiver. Le domaine skiable a tout simplement tout pour satisfaire tant les grands débutants que les athlètes professionnels. Ajoutez-y un très joli village authentique, des panoramas sublimes, de charmants petits cafés, une gastronomie exquise et des magasins de luxe, et vous comprendrez pourquoi Verbier est certainement l’une des stations de ski les plus célèbres au monde. Au début du XIXe siècle, il n’y avait pas le moindre skieur dans ce village d’agriculteurs. Vaches et moutons broutaient dans les prés. Cela a commencé à changer en 1925, avec la construction du tout premier hôtel. Lentement mais sûrement, les leçons de ski ont contribué à la croissance du village. Lorsque, après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement s’est aperçu que Verbier pouvait constituer un lieu idéal pour le tourisme, tout s’est enchaîné rapidement. Des remontées mécaniques ont été construites, l’église (qui domine toujours le panorama de la station) a suivi et en à peine 20 ans, Verbier est devenu l’un des plus grands domaines skiables d’Europe.

Natural Born Skier

La sécurité est primordiale lorsque vous faites du hors-piste. La formation, les connaissances et l’expérience sont cruciales. Et c’est justement notre mission lors de cette excursion. Deux ans : c’est l’âge qu’avait Dominique Perret lorsqu’il est monté sur des skis pour la première fois. Il a amélioré sa technique durant les quinze années suivantes à la célèbre École Suisse de Ski et a participé à des slaloms, des slaloms géants et des concours de descente. L’environnement de Dominique Perret ne pouvait cependant pas être limité par des piquets et des cordons. Le ski n’était plus une question de victoire ou de défaite, c’était devenu une passion et du même coup l’œuvre de sa vie. Le freeride était la discipline qui se rapprochait le plus de la vision de Dominique : une légende voyait le jour, il était LE ‘Natural Born Skier’. 

D’innombrables expéditions, plus de 20 films tournés sur la poudreuse un peu partout dans le monde, une descente du versant nord du mont Everest, 211 km/h en ski de vitesse, un saut de plus de 36 mètres depuis une falaise… Le palmarès de Dominique Perret est vraiment impressionnant.

Lors des Board Awards en 2000 à Paris, Dominique Perret a été élu meilleur skieur freeride du siècle. Dans le freeride, il faut également avoir conscience des dangers, une formation est donc indispensable. Dominique a créé son International Snow Training Academy (ISTA) à cet effet. On n’est jamais trop incapable ou trop vieux pour apprendre, alors je tire Dominique Perret par la manche et je mets immédiatement la théorie en pratique.

Dominique Perret : « Le ski est ma passion, je ne peux pas vivre sans. Le groupe de gens qui vont faire du freeride ne cesse de grandir, mais je remarque aussi que de plus en plus de personnes se mettent en danger. Nous encourons le risque que le hors-piste soit proscrit à cause des nombreux accidents. J’en avais assez de toujours entendre que nous prenons des risques inconsidérés. C’est pourquoi j’ai voulu passer à l’étape suivante, à savoir la formation. »

« Tirez votre plan »

ISTA est un programme mondial. On a donc réfléchi à l’utilisation d’un langage universel, de méthodes applicables partout et de petites icônes chouettes et super claires. Dominique s’adresse en outre à un marché relativement grand. Il y a environ 6 millions de freerideurs à travers le monde, ce qui représente un chiffre d’affaires de plus ou moins 4,5 milliards de dollars. L’année dernière, plus de 600 000 paires de ski freeride et 100 000 sacs à dos anti-avalanche ont été vendus.

Dominique Perret : « Le message que l’on reçoit dans les magasins est malheureusement souvent du type : “Tirez votre plan. Bonne chance.” Le matériel est certes important, mais c’est surtout notre tête et nos connaissances qui peuvent appliquer la formation nécessaire. La montagne et le hors-piste que l’on y pratique sont en réalité très accessibles au XXIe siècle. Nous disposons de remontées mécaniques rapides et beaucoup de stations et de versants sont reliés entre eux. La qualité du matériel ne cesse de s’améliorer et, avec l’arrivée des sacs à dos anti-avalanche, le freeride est encore plus accessible que jamais. »

Mauvaises décisions

Malgré l’attention grandissante pour le ski et le snowboard en hors-piste, le nombre de morts reste relativement stable : à peu près 200 à travers le monde. Mais si vous analysez ce triste chiffre, 90 % des accidents sont causés par le skieur ou le snowboardeur lui-même. Cela signifie que ces accidents sont principalement la conséquence de mauvaises décisions. Et même si le taux de mortalité reste plus ou moins le même, le nombre d’accidents augmente quant à lui très vite.

Dominique Perret : « Le détecteur de victime d’avalanche, la pelle et la sonde sont du matériel de sauvetage, pas du matériel de sécurité. Si vous en avez besoin, c’est qu’il est déjà trop tard. Nous parvenons à retrouver plus de victimes vivantes plus rapidement. Leur état n’est pas repris dans les statistiques. L’âge moyen des victimes se situe entre 30 et 35 ans. Il ne s’agit donc pas de jeunes casse-cou, qui sont eux sincèrement intéressés par la formation. 30 % sont des étrangers, un Canadien qui vient skier à Verbier par exemple. Ceci est dû au fait que les normes ne sont pas standardisées, on ne connaît pas bien le système de l’analyse de risques. »

Le changement climatique a une grande influence sur notre terrain de jeu. Il y a plus de précipitations, les changements de température sont plus importants. Il tombe souvent d’énormes quantités de neige en peu de temps, mais il peut tout aussi bien ne pas neiger pendant des semaines.

Dominique Perret : « Nous devons modifier la vision et le comportement des gens. Ils doivent être éduqués. Et après seulement, nous pourrons essayer de réduire le nombre d’accidents. Cependant, la plupart des cours sont axés sur les usagers professionnels et le sauvetage, et non sur la prévention. À l’ISTA, nous misons tant sur les professionnels que sur le grand public et la prévention. Les procédures doivent être sues par cœur. Si quelque chose venait à arriver malgré tout, vous suivez alors la procédure à laquelle vous vous êtes entraîné(e). Cela va encore plus vite dans les situations de stress. La formation ISTA se compose de workshops actifs, à l’extérieur en montagne, à côté des pistes. On y va ? »

Workshop actif

Le temps n’est pas à notre avantage, c’est le moins qu’on puisse dire : il souffle un vent rude, il fait froid et la visibilité est limitée. Mais ce mauvais temps rend cependant le chapitre sur les observations, le terrain, la température, le vent et la visibilité tout de suite plus concret. Nous passons ensuite à la neige. Nous apprenons des méthodes pour estimer la déclivité d’une piste, nous creusons un trou, étudions les différentes couches dont la neige est composée et passons les cristaux de neige à la loupe. Le livret ISTA en main, nous évoquons les dangers potentiels et nous nous demandons s’il est sûr de faire la descente ou non. Nous discutons des lieux de repli où nous pourrions aller en cas de problème et nous nous plongeons encore plus dans les montagnes et les dangers potentiels que jamais auparavant. Pendant le repas, nous abordons les facteurs humains et la dynamique de groupe. C’est passionnant et intéressant : nous serons encore mieux préparés à la neige pour nos prochaines sorties.

L’après-midi, la météo rude a laissé place à un soleil froid. Nous simulons une avalanche, passons à l’action avec le détecteur de victime et la sonde, discutons des différentes techniques pour creuser de manière aussi efficace et rapide que possible et… on l’aurait presque oublié, nous profitons d’une super poudreuse sur cet immense terrain de jeu freeride.

La reine du Bec des Rosses

Verbier a plusieurs ambassadeurs et Géraldine Fasnacht en fait partie. Dès qu’il tombait de la neige, elle allait sur les pistes avec ses parents. Le ski et le snowboard sont ses passions. Tous les ans lors de l’Xtreme, elle regardait ses idoles avec de grands yeux au Bec des Rosses. Son talent n’est pas resté inaperçu et, en 2002, c’est elle qui se lançait du sommet de cette montagne mythique. Le run de Géraldine Fasnacht lui a permis d’entrer dans l’histoire comme la plus jeune lauréate de tous les temps. Une nouvelle passion, le vol en wingsuit, est venue s’ajouter et là aussi, Géraldine n’est pas passée inaperçue, notamment avec un run du Cervin.

J’ai rencontré Géraldine lors d’une expédition à la péninsule du Kamtchatka, il y a longtemps déjà. On se remémore nos souvenirs autour d’une bonne raclette. « Te rappelles-tu que tu as sauté de l’hélicoptère au-dessus du volcan pour nous survoler alors que l’on était en train de faire une descente ? » Peu s’en faut avant que l’on décide d’aller sillonner les pistes ensemble. C’est ainsi que je me retrouve le lendemain, le cœur battant légèrement la chamade, dans le téléphérique direction le mont Gelé. J’arrive déjà à me débrouiller sur un snowboard et j’ai pas mal d’expérience en hors-piste, mais il y a encore pas mal de chemin avant de pouvoir me comparer à la reine du Bec des Rosses.

Journée poudreuse dynamique

Ici, j’aurais bien aimé écrire : nous avons skié en mode croisière, profitant d’une neige parfaite et de panoramas sublimes. Mais ce n’est pas vrai. La neige était parfaite, les panoramas étaient sublimes, mais il convient de changer « en mode croisière » par « à toute allure ». Nous nous sommes échauffés sur les pentes sous le téléphérique Jumbo du col des Gentianes. Ensuite, La Chaux et une série de couloirs très dynamiques. Du mont Fort, nous avons descendu à fond en direction de Patiefray et des Shlérondes. Et même si Verbier est connu pour ses freerideurs particulièrement doués, nous avons tout de même pu profiter presque tout le temps d’un terrain vierge recouvert d’une neige éclatante. À hauteur des Charrières, nous avons transformé notre snowboard en splitboard et continué ainsi jusqu’à l’heure du repas. Mais pas sans un petit apéro : les couloirs sous le Funispace d’Attelas. Avec encore d’autres chouettes runs dans le vallon d’Arbi et La Tzoumaz, nous avons terminé cette super journée de hors-piste avec l’un des plus grands runs de Verbier.

La mission des pisteurs

Le jour suivant, nous abordons une sécurité d’un tout autre ordre. Le réveil me tire de mes rêves de poudreuse à une heure bien plus que matinale. Nous partons avec Victoria Jamieson, pisteuse de métier. Eh oui, les pisteurs sont à l’œuvre dès l’aube. Il a neigé, pas énormément mais suffisamment pour donner du travail aux pisteurs.

Lors du briefing matinal, il est tout de suite clair que le risque d’avalanche sur les flancs autour du mont Fort, des Gentianes et du mont Gelé doit être minutieusement examiné. Si nécessaire, certaines zones devront être dynamitées afin de faire descendre de grandes quantités de neige avant qu’elles ne forment une dangereuse avalanche. Les pisteurs s’en vont par groupes de deux. D’énormes trousseaux de clés ouvrent les lourdes portes d’acier du bunker où sont entreposés les explosifs. On prépare et distribue des petits sacs de dynamite, on divise le terrain et chacun se voit attribuer un secteur. Tout le monde reste en contact permanent via la radio afin de tenir le reste des pisteurs et le QG informés de l’état de la neige et de ce qu’ils sont en train de faire. C’est une mission très sérieuse pour laquelle on ne peut prendre aucun risque.

J’entends des explosions au loin, suivies par un message radio expliquant où et comment elles ont été réalisées. Et même si j’en avais vraiment envie, il n’était pas possible pour moi d’aller aider à dynamiter. Mes tâches se limitent à planter des jalons sur les pistes et vérifier si ces dernières sont bien dégagées. Faire les premières traces sur une piste parfaitement aménagée dans un domaine skiable encore vide pour le moment a vraiment quelque chose de particulier. Les regards envieux des premiers skieurs veulent dire qu’il n’est pas encore 9 heures et que vous avez déjà passé une matinée très spéciale. Avec la connaissance du terrain et la formation ISTA en tête, nous passons le reste de la journée à foncer sur une couche fraîche de pur plaisir dans la Mecque du freeride, Verbier.

Photos: Jurgen Groenwals & Rapaël Surmont

Vous aussi vous souhaitez pouvoir sortir des pistes en toute sécurité ? Pourquoi ne pas suivre une formation auprès de l’ISTA ? Ista-Education.

Cet article a été publié dans le volume 2 de 100% Snow.