C’est l’un des meilleurs snowboardeurs freeride qui existe au monde ! Une légende emblématique qui maîtrise sa discipline haut la main. Des courbes impensables et des sauts énormes à des vitesses incroyablement élevées : voilà comment décrire au mieux son style. Nous emportons une bonne dose de courage et d’audace et partons faire du snowboard avec Xavier de Le Rue sur son terrain de jeu habituel et dynamique, Verbier.
La veille, je n’arrivais pas à dormir. Afin de me préparer à une interview et une journée de ride avec l’un des snowboardeurs les plus extrêmes du monde, j’ai regardé une série de vidéos qui illustrent clairement son niveau. Non, ça ne m’a pas rassuré. Vous connaissez beaucoup de rideurs qui ont donné leur nom à une falaise du mythique Bec des Rosses ? Nerveux et légèrement angoissé, j’attendais ce matin-là au pied de la télécabine de Médran, au centre de Verbier, quelqu’un pour qui je nourris une grande admiration.
À vélo, le snowboard attaché à son sac à dos, voici Xavier qui arrive avec un large sourire. La glace est immédiatement brisée, le soleil brille et la journée promet d’être magnifique et intense.
ADN de Le Rue
Xavier et moi avons, outre notre passion pour le snowboard freeride, une chose en commun : nous sommes tous les deux montés pour la première fois sur une planche à Saint-Lary-Soulan, au cœur des Pyrénées françaises. Mais ça s’arrête là. À son palmarès figurent entre autres quatre titres de champion du monde en cross et trois titres de vainqueur du Freeride World Tour. Au mien ? Rien. « Enfant, j’étais déjà très énergique, je voulais toujours être dehors, dans les montagnes. » C’est au club de ski de Saint-Lary-Soulan que Xavier a fait ses débuts, sur des skis. En effet, au début des années 90, il n’était pas encore question de culture du snowboard à Saint-Lary-Soulan. Il s’y est mis à l’âge de 14 ans et s’est spécialisé dans l’épreuve de cross, qu’il domine actuellement aux côtés de son petit frère, Paul-Henri. Seuls les Jeux olympiques résistent encore à Xavier. Trois semaines avant sa première participation aux Jeux de Turin en 2006, il s’est cassé la cheville gauche, ce qui a perturbé sa préparation et il ne finira qu’à la 18e place.
Les Jeux ont souri davantage à Paul-Henri, qui en est revenu avec une médaille de bronze. La combinaison de la vitesse et des sauts, indispensable en cross, a également porté ses fruits au Freeride Word Tour : Xavier a remporté trois fois ce concours, en 2008, 2009 et 2010. Vous voulez encore plus d’ADN ? Deux jours avant de partir avec Xavier, le benjamin de la famille, Victor de Le Rue, a gagné le Freeride World Tour. Xavier : « Je suis un grand frère particulièrement fier. Victor est sans aucun doute le plus polyvalent de la famille. Il a commencé en freestyle et a maintenant adapté ces éléments au freeride. Nous faisons parfois de véritables excursions en montagne ensemble et les choses qu’il y apprend le portent à un niveau encore plus élevé. Décrocher du premier coup la victoire finale au Freeride World Tour en tant que rookie, c’est assez impressionnant. Croyez-moi, cette saison était un peu une découverte pour lui. Je l’ai déjà vu faire des trucs bien plus corsés. » Ça promet pour les années à venir…
Sur la photo avec les fans
Grâce aux rapides remontées mécaniques de Verbier, nous voilà déjà au sommet du mont Gelé. Le couloir vachement raide que Xavier envisage en tant qu’échauffement nous fait un peu peur. Nous sommes littéralement au bord du gouffre. La ligne que Xavier trace ensuite explique tout de suite clairement pourquoi il est l’un des meilleurs snowboardeurs au monde : sa vitesse est impressionnante, sa courbe particulièrement propre.
Pourquoi un Français, né à Bayonne, s’établit à Verbier et non pas dans une autre capitale de l’extrême comme Chamonix ? Xavier : « J’ai un peu sillonné le monde et j’avais déjà fait de nombreux shoots à Verbier et dans les environs. J’aime bien le caractère international de Verbier et le fait que la vallée y est plus ouverte, il y a ainsi plus de soleil qu’à Chamonix. Le stress d’avoir de la poudreuse y est aussi un peu moins élevé. Et vous avez le terrain, bien entendu. Même si celui de Chamonix n’est pas mal non plus. » J’ai beau être de sortie avec une vedette mondiale, Xavier de Le Rue est très accessible et abordable. Aucun problème pour lui de discuter avec des fans dans le téléphérique ou de poser pour une photo.
Bec des Rosses
On ne peut évidemment pas parler de Xavier et de Verbier sans évoquer le Bec des Rosses. Perché à 3 223 mètres d’altitude, ce versant mythique est décisif dans la finale du Freeride World Tour depuis des années déjà. Cette descente d’environ 600 mètres avec un dénivelé moyen de 48 ° suscite la crainte et impose le respect, même pour des freerideurs confirmés. Seuls ceux qui raflent suffisamment de points lors des manches précédentes atteignent la finale. Si vous êtes au sommet, vous avez alors en prime un dénivelé énorme (entre 55 et 60 °). Nous décidons d’aller en direction du Bec des Rosses pour étudier le phénomène de plus près. Non, pas jusqu’au somment, à mi-hauteur suffira amplement.
Via le versant sud du mont Fort, nous descendons vers le col de la Chaux, où nous commençons l’ascension. Xavier : « Le Bec des Rosses est pour moi le berceau du freeride extrême. Dans la version moderne du Freeride World Tour, ce type de flanc est devenu impossible. L’unique raison pour laquelle il reste dans le circuit, c’est parce qu’il est mythique. C’est une icône. En tant que rideur de haute montagne, les nouveaux flancs du Freeride Word Tour ne me conviennent pas. L’aspect freestyle est devenu plus important que le fait de réaliser des lignes vraiment raides et présentant des difficultés techniques intéressantes. Xavier me montre des lignes où je ne vois que des roches et des pentes escarpées. Il me cite des noms tels que le « couloir Dogleg », l’une des pentes les plus simples et donc à la portée de tous, ou encore le « couloir central », sûrement le plus raide, qu’une poignée de rideurs seulement réussit à prendre avec succès. Le « couloir central » se termine par la « barre Hollywood », à prendre avec de la vitesse. Mais ce qui nous intéresse vraiment, c’est bien entendu la « barre de Le Rue ». Lors du Nissan Xtreme en 2010, Xavier a sauté de cette falaise considérée comme impossible. Non seulement l’accès à la falaise est déjà particulièrement difficile et technique, mais c’est en plus une barre qui se poursuit très loin, tant à l’horizontale qu’à la verticale. Ce qui signifie que vous devez l’aborder avec une très grande vitesse. Xavier : « Il me semble que j’ai déjà fait le Bec des Rosses près de 18 fois au total, dont 15 en compétition. À vrai dire, je ne le fais jamais hors compétition. Allons manger à la Cabane Mont-Fort, je vais te montrer comment j’ai découvert cette falaise. »
Imaginez que nous fassions une galerie avec les plus grands snowboardeurs freeride, qui d’autre devrait figurer aux côtés de Xavier ? La réponse ne surprend guère : « Dans son temps, votre compatriote Axel Pauporté a réalisé des choses dingues, il y mérite sa place. Et aussi les grands noms tels que Jeremy Jones, Johan Olofsson, Travis Rice, Steve Klassen… Mon frère pas encore, il doit d’abord faire ses preuves pendant quelques années, mais je pense qu’il pourrait bien se libérer totalement lors des prochaines saisons. »
Accident d’avalanche
Sur la terrasse de la Cabane Mont-Fort, tout en savourant l’une des meilleures « croûtes au fromage » de ma vie, Xavier me raconte : « D’ici, on a une bonne vue sur le Bec des Rosses. Un jour, j’ai remarqué plutôt par hasard une énorme falaise qui, du moins depuis la terrasse, me paraissait jouable. » Si vous regardez à gauche, vous voyez le flanc qui a apporté gloire et titres mondiaux à Xavier de Le Rue. Si vous regardez à droite, vous voyez dans le val d’Entremont celui qui a failli lui être fatal. En effet, il s’est produit un miracle le 28 mars 2008 : Xavier a survécu à une gigantesque avalanche dont personne n’aurait pu sortir vivant. Xavier : « C’était pendant un tournage et on avait déjà perdu du temps quand l’hélicoptère n’était pas disponible. On avait déjà descendu quelques lignes et, même si je savais bien que les conditions étaient plutôt dangereuses, je n’étais pas plus inquiet que ça. J’ai vu un beau flanc nord où il y avait déjà des traces de skieurs de randonnée et j’ai décidé de le descendre vite fait. Normalement, je prends toujours le temps d’étudier ma trajectoire et je cherche une autre voie au cas où j’aurais besoin d’un plan de secours. L’hélico était en train d’attendre en l’air, alors je me suis dépêché de commencer la descente sans trop réfléchir. Au début, un petit bout s’est détaché et j’ai encore pu y échapper. Mais la pression de cette petite avalanche à la fin de la descente a soudainement entraîné la chute du flanc entier. J’ai tiré sur la poignée de mon sac à dos anti-avalanche et j’ai espéré m’en sortir. On m’a retrouvé dix minutes plus tard, deux kilomètres plus bas. Les ballons de mon sac à dos dépassaient de la neige. Ça m’a certes sauvé la vie, mais j’insiste sur le fait qu’il ne faut pas avoir une confiance aveugle en son matériel. Le détecteur de victime et le sac à dos anti-avalanche sont des aides lorsque ça tourne mal. Tout l’art est justement d’éviter cela. Ce que j’emporte aussi toujours en ce moment, c’est la balise Resero Whistle, un petit appareil capable d’émettre un signal radio de n’importe où (même sans réseau). Lorsqu’ils m’ont retrouvé, j’étais une épave. Ma bouche était pleine de neige et j’étais étranglé par la sangle de mon casque. À part une déchirure du ligament au genou et les yeux qui sortaient quasiment des orbites pendant un mois, je n’avais rien. C’était un miracle. J’aurais dû être mort. »
La montagne ne fait pas de différence entre un rookie et un pro, et cette histoire nous fait comprendre qu’on ne peut jamais être sûr à 100 %, mais on peut bien entendu limiter les risques. Xavier : « Ce que j’en ai retenu, c’est qu’il faut toujours prévoir le pire des cas. Normalement, j’étudie bien ma trajectoire, mais comme on était pressés par le temps (à ce moment-là, la lumière était vraiment parfaite pour le film et les photos), je n’ai pas réfléchi assez. J’étais aussi trop sûr de moi, il y avait déjà des traces, les autres runs s’étaient bien passés, alors il en aurait été de même pour celui-là. Je suis plutôt prudent, mais lorsqu’on tourne un film, on est toujours tentés de prendre davantage de risques. J’ai maintenant le luxe de pouvoir refuser de descendre une ligne, ce qui est souvent plus difficile pour les jeunes rideurs qui débarquent sur le circuit. » J’ai envie de savoir s’il lui arrive encore d’avoir peur. Xavier : « Bien sûr que j’ai peur parfois. Ça se passe dans la tête. Lorsque je suis devant une pente raide et dangereuse, j’essaye de l’appréhender de manière analytique. Je cherche une voie que je pourrais emprunter pour contourner au besoin le danger, je regarde où je prendrai mes virages… Je cherche ainsi une manière d’éviter le danger et de canaliser ma peur. C’est peut-être différent pour la plupart des gens, mais j’essaye véritablement d’éviter autant que possible les risques. Et je ferai la descente seulement si je suis absolument sûr de moi. »
Papa Xavier
Deux jours plus tôt, Steve Klassen (une autre icône) a participé au Freeride World Tour sur invitation. Verra-t-on Xavier faire pareil ? « Je prends mon temps pour l’instant. Ma femme Beanie (pro en ski freestyle) est enceinte et s’est cassé la clavicule lors d’une chute ce week-end. » Il attend une seconde fille. Sa plus âgée, Mila, participe d’ailleurs aussi (comment aurait-il pu en être autrement ?) au Freeride Junior Tour. « Je crois bien que je suis un papa heureux. Je ne suis pas exagérément sévère, mais elle ne doit pas faire n’importe quoi. Comme c’est une vraie de Le Rue, il n’est pas surprenant qu’elle fera aussi du freeride. Je lui dis qu’il est possible de faire des choses magnifiques en montagne, tant qu’on le fait de manière intelligente et sûre. J’ai moi-même eu de la chance plusieurs fois, donc je lui inculque qu’une approche réfléchie mène à des résultats plus beaux. C’est tout de même mieux de dire qu’on s’est amusé plutôt que de dire qu’on a eu de la chance. » Il est vite évident que le fait d’être papa ne constitue pas pour Xavier de Le Rue un obstacle à ses grands projets. Xavier : « Je suis en pleine préparation d’un grand projet de film sur l’environnement. Il s’agit là de quelque chose qui va sûrement me tenir occupé les prochaines années. Je voudrais retourner en Antarctique, l’un de mes endroits favoris, mais le cercle arctique et l’Himalaya avec le Pakistan et le Tibet sont aussi sur la liste. Ce sera une grosse production. National Geographic est intéressé et nous sommes encore en pourparlers avec la BBC et Netflix. Et en parallèle, je continue bien sûr à réaliser mes vidéos “How to…”. »
Après avoir renfilé nos snowboards, Xavier de Le Rue montre d’où lui vient le surnom « The Butcher » : dans une ligne à pic et à une vitesse folle, Xavier fend tout simplement la montagne en deux.
Photo’s: Tero Repo & Raphaël Surmont // Tekst: Jurgen Groenwals
100% Snow, Vol.2